CHAPITRE XIV

Obi-Wan ne sentait plus ses pieds. Ôtant ses bottes, il les frotta afin de rétablir la circulation. Cela faisait des heures qu’il était enfermé dans la chambre froide. Il n’avait cessé de faire les cent pas dans le vain espoir de se réchauffer. Il avait invoqué la Force et l’avait visualisée non seulement sous forme de lumière, mais aussi de chaleur.

Il remit ses bottes, puis plongea la main dans la poche intérieure de sa tunique, afin de prendre la pierre que Qui-Gon lui avait donnée pour son treizième anniversaire, lorsqu’il était officiellement devenu son Padawan. Elle était tiède dans sa main et il la frotta entre ses paumes.

Il était au bord de l’épuisement. Il ne pouvait continuer à marcher indéfiniment. Il ferma les yeux et envoya un message amplifié par la Force à Qui-Gon. Je suis dans le pétrin, Maître. Revenez.

Que pouvait bien manigancer Deca Brun ? Se rendait-il compte qu’il s’était acoquiné avec une compagnie corrompue qui allait mettre à sac sa planète ? Savait-il à quel point Xanatos était dangereux ?

Obi-Wan redoutait avant tout que Deca contacte celui-ci pour lui dire qu’il gardait un Jedi au frais. Or si Xanatos entendait le nom d’Obi-Wan, il devinerait que Qui-Gon n’était pas loin.

Et dès lors, Xanatos chercherait à piéger son ancien Maître. Il avait juré sa perte.

Obi-Wan devait s’échapper et avertir Qui-Gon que Xanatos trempait dans le complot.

Des bruits étouffés lui parvinrent de derrière la porte. Peut-être quelqu’un venait-il le libérer ! Il se leva d’un bond et pressa l’oreille contre le battant glacé.

Il entendit un murmure indistinct. Il recourut à la Force pour atténuer les bruits de fond : le bourdonnement de la chambre froide, sa propre respiration. Il se concentra sur ce qui se passait au-dehors.

– Et alors ? s’exclama un jeune garçon. Moi aussi, je travaille ! J’ai là une cargaison de viande à livrer. Elle est déjà payée. Si je ne l’entrepose pas dans cette chambre froide, vous vous passerez de manger pendant une semaine. Vous pouvez toujours vous adresser, à Deca Brun. Moi, je m’en lave les mains.

– Personne n’entrera ni ne sortira de là, fit le garde d’un ton rogue.

Obi-Wan concentra la Force en un mince faisceau façon laser. Quoique, il faut bien qu’on mange, non ?

– Quoique, il faut bien qu’on mange, non ? répéta le garde. Restez là ! Je vais pousser le chariot à l’intérieur.

Obi-Wan entendit cliqueter la serrure. Il s’éloigna de la porte. Celle-ci s’ouvrit, et un chariot se mit à rouler vers lui, emplissant totalement l’embrasure.

Obi-Wan bondit et, aidé de la Force, le repoussa avec la dernière énergie. Le lourd engin partit en arrière, percutant le garde.

Au passage, le livreur lui imprima une petite poussée supplémentaire et le chariot alla s’écraser contre le mur, clouant le garde sur place. Celui-ci cria de rage et tenta de se dégager. Peine perdue.

Le livreur retira sa casquette. C’était Jono.

– Rien ne vaut le travail d’équipe, dit-il, un sourire jusqu’aux oreilles.

– Merci de m’avoir sorti de là, fit Obi-Wan avec reconnaissance.

Ils remontèrent le couloir en courant et se ruèrent dans un bureau désert. Un pâle soleil filtrait par les fenêtres. Obi-Wan eut une hésitation.

– Mon sabre laser, dit-il. Et mon comlink…

– Nous ne pouvons les chercher maintenant, le coupa Jono. Ils vont bientôt arriver. (Il tira Obi-Wan par le bras.) Le prince Beju a fait arrêter la Reine. Elle refuse de s’alimenter. Je suis très inquiet, Obi-Wan. Je crois qu’elle se meurt. Viens !

Un silence ensommeillé planait sur la ville. La lumière grise de l’aube se teintait de rose. Les Galaciens commençaient à vaquer à leurs affaires. Çà et là, les cafés ouvraient leurs portes le long du boulevard principal.

– J’ai parlé aux autres membres du Conseil, dit Jono. Je devais en prendre le risque. Ils veulent te voir pour discuter de la meilleure façon de contrecarrer les plans de Giba. Ils ont formé une alliance contre lui. Emprisonner la Reine a été une erreur. Lui et le prince Beju sont allés trop loin.

– D’abord, je dois voir quelqu’un, annonça Obi-Wan.

Jono lui décocha un regard incrédule.

– Mais… mais nous n’avons pas de temps à perdre ! Les élections ont lieu aujourd’hui !

– C’est très important, répondit fermement Obi-Wan. Je dois m’arrêter chez Mali Errat. S’il a identifié l’agent inconnu, nous aurons la preuve qu’on a bien tenté d’empoisonner la Reine. C’est un élément capital !

Jono secoua la tête.

– C’est impossible, Obi-Wan. Le Conseil des Ministres nous attend. J’ai promis de te ramener séance tenante.

– Si nous connaissons la nature du poison qu’on lui administre, nous pourrons trouver un antidote, expliqua Obi-Wan.

Jono se mordit la lèvre.

– Mais…

– C’est par là, fit Obi-Wan, désignant une rue adjacente.

Il s’y dirigea, certain que Jono le suivrait.

Il ne leur fallut que quelques minutes pour arriver au laboratoire de Mali Errat. Les volets étaient fermés et il faisait sombre à l’intérieur. Obi-Wan tambourina néanmoins à la porte. Mali passa la tête par la fenêtre du premier étage. Sa touffe de cheveux blancs ébouriffés formait un halo autour de sa tête.

– Qui est là ? Qui ose venir me déranger si tôt matin ? rugit-il.

– C’est moi, Mali ! répondit Obi-Wan.

Il fit un pas en arrière pour que l’homme puisse le voir.

– Jeune impatient ! Où étais-tu passé ? s’écria Mali en pianotant contre l’appui de la fenêtre. J’ai tes résultats ! Un instant !

Quelques secondes plus tard, la porte s’ouvrit en coup de vent. Mali, vêtu de sa combinaison, tenait un listing à la main.

– Je suis un génie ! proclama-t-il.

– Qu’avez-vous découvert ? demanda Obi-Wan.

– J’ai fouillé parmi tous les agents chimiques répertoriés de la galaxie. Chaque composant artificiel, chaque poison secret, chaque substance… Et tu sais pourquoi je ne réussissais pas à isoler ton agent ?

Obi-Wan secoua la tête avec impatience.

– Parce qu’il est tout ce qu’il y a de naturel ! rugit Mali. Quelle surprise ! Qui l’utilise aujourd’hui ? C’est du dimilatis. Une vulgaire plante ! Elle pousse au fond des mers de Gala. En petites quantités, elle est inoffensive. Mais les gens du coin savent qu’une fois séchée et employée dans certaines concentrations, elle produit les mêmes effets qu’une maladie de langueur. Et l’issue est fatale, évidemment.

– Si elle pousse au fond des mers de Gala, on doit en trouver des spécimens dans les jardins du palais, raisonna Obi-Wan.

– Viens, Obi-Wan ! fit Jono avec empressement. Nous devons prévenir le Conseil !

– Y a-t-il un antidote ?

Mali leva une petite fiole.

– J’en ai préparé un. Cela te coûtera…

Obi-Wan fourra tous les crédits qu’il lui restait dans la main du vieil homme et saisit la fiole. Enjoignant à Jono de se hâter, il s’élança vers le palais.

Jono conduisit Obi-Wan vers une partie du palais qu’il n’avait encore jamais visitée, tout en haut de la tour dominant les jardins.

– Je dois voir la Reine, s’impatienta Obi-Wan.

– On m’a dit de t’amener à cet endroit, répondit Jono, nerveux. Les gardes sont à ta recherche. Tu ne pourras jamais passer. Les Conseillers t’emmèneront auprès de la Reine.

Obi-Wan se planta devant la petite fenêtre et observa le sommet feuillu d’un immense arbre lindemor. Au-dessous s’alignaient les rangées de légumes du potager.

– Et les jardiniers, Jono ? demanda-t-il. Y en a-t-il parmi eux qui seraient susceptibles de comploter contre la Reine ?

– Je n’en sais rien.

– Il leur faudrait posséder une grande connaissance des plantes, continua Obi-Wan, pensif. Et… que peux-tu me dire au sujet de ce membre du Conseil aux yeux bleu laiteux ? Il traîne sans cesse dans les jardins.

– Viso est le plus fidèle partisan de la Reine, affirma Jono.

– Un membre du Conseil a accès aux appartements de la Reine, poursuivit Obi-Wan. Sauf qu’il paraîtrait bizarre qu’il lui apporte ses repas.

C’était là la clé du mystère. Le poison devait être administré à Veda par une personne au-delà de tout soupçon…

Une idée le frappa comme un rayon laser. La verdure du jardin se brouilla devant ses yeux. Jono. Son ami était le seul à avoir accès aux jardins et aux appartements royaux. Qui-Gon avait raison : parfois, la réponse la plus évidente était la bonne.

Jono disait que la mer lui manquait. Le poison provenait du fond des océans. Il était chargé de cueillir les fleurs pour composer les bouquets ornant les appartements royaux. Rien de plus facile que de ramasser un peu de dimilatis en même temps. Et, comme Qui-Gon l’avait remarqué, c’était lui qui servait le thé à la Reine.

Obi-Wan se retourna. Jono fit un pas en arrière.

– Qu’y a-t-il, Obi-Wan ?

Il avait l’air soucieux, mais le jeune Jedi perçut sa nervosité.

– C’est toi, n’est-ce pas ? fit doucement Obi-Wan. C’est toi qui empoisonnais la Reine.

– Quoi ? s’écria Jono. Je ne ferais jamais une chose pareille ! Ce peut être n’importe qui, tu le sais bien !

– Mais ce n’était nul autre que toi.

Qui-Gon avait dit plus d’une fois à Obi-Wan qu’il n’était pas toujours en contact avec la Force. Mais maintenant, il pouvait lire la culpabilité de son ami comme l’eût fait un capteur. Il vit de la peur et du désespoir dans ses yeux. Et aussi de la colère.

Sans mot dire, il regarda fixement Jono, dont le visage se dépouillait peu à peu de son masque d’innocence.

– Et pourquoi ne serait-ce pas moi, en effet ? demanda Jono à voix basse. À cause de vous autres Jedi, j’ai failli me faire expulser du palais !

– De là à tuer la Reine… commença Obi-Wan.

– Ne comprends-tu donc pas ? C’est toute ma vie ! Les Dunn servent la famille royale depuis des générations ! J’ai été éduqué pour tenir ce rôle ! L’honneur de ma famille dépend de moi, conclut Jono en tendant les mains d’un air suppliant.

– La Reine dépend de toi, corrigea Obi-Wan. Ton devoir est de la protéger !

Jono s’empourpra sous l’effet de la colère.

– Elle m’aurait jeté à la rue ! Lorsque Deca Brun sera élu, il embauchera ses hommes comme serviteurs. Et moi, où irai-je ? Que ferai-je ? Devrai-je rejoindre le commun des mortels ? C’est vrai, je ne suis qu’un serviteur, mais j’habite un palais ! lança-t-il avec fierté.

– J’avais confiance en toi, dit Obi-Wan, attristé.

Toute colère disparut du visage de Jono.

– En ce cas, tu as commis une erreur. Tu es mon ami, Obi-Wan, et je t’aime bien. Mais je préfère ma vie dorée.

Des pas claquèrent derrière lui. Obi-Wan se retourna. C’était Giba. Il le ferait certainement tuer ou emprisonner.

– Je suis désolé, Obi-Wan, fit Jono. Sincèrement.

– Épargne-moi tes regrets.

Obi-Wan s’élança vers la fenêtre. Il bondit sur l’appui et évalua la distance qui le séparait du sol. C’était beaucoup trop haut pour sauter. Mais la Force le guiderait.

– Je n’en ai que faire, ajouta-t-il, et il se jeta dans le vide.